Sommaire 

  1. Contexte
  2. Statuts des ASBL Étrangère sous la loi no 004/2001
  3. Autorité compétente pour autoriser une ASBL étrangère à exercer ses activités en République Démocratique du Congo

 

I. Contexte

Il ressort du compte-rendu de la 29e réunion du conseil des ministres que le Premier Ministre congolais a soumis à l'examen du conseil deux projets de Décret. Il s’agit entre autres du:

⦁ Projet de décret accordant l’autorisation d’exercer les activités en République Démocratique du Congo à l’Association Sans But Lucratif Confessionnelle de Droit Étranger dénommée « Médecins Sans Frontières », en sigle MSF Espagne.

⦁ Projet de décret accordant l’autorisation d’exercer les activités en République Démocratique du   Congo à l’Association Sans But Lucratif Confessionnelle de Droit Étranger dénommée « Médecins Sans Frontières », en sigle MSF Hollande.

Ces deux projets de décret suscitent des questionnements concernant le statut des ASBL étrangères en droit congolais et l’autorité compétente pour leur accorder l’autorisation d’exercer les activités en Républiques Démocratique du Congo.

L’historique de la législation congolaise relative aux ASBL remonte de la période d’avant l’indépendance. C'est en vertu du principe de la « liberté de réunion et d'association pacifiques » contenu dans la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 (article 20) que les autorités du Congo Belge ont, avant l'indépendance, réglementé les Associations sans but lucratif et ce, par le décret du 27 novembre 1959 qui fut remplacé par le décret du 18 septembre 1965 sur les A.S.B.L et Associations Etrangères, mis en exécution, après l'indépendance, par l'ordonnance n°66 du 31 décembre 1965. Depuis lors, bien que les constitutions qui se sont succédées proclamèrent la liberté de réunion et d'association, aucune loi particulière ne fut prise dans ce sens.

Il eut fallu attendre la « révolution » du 17 mai 1997 menée par les forces de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo, A.F.D.L en sigle [1], pour qu'une nouvelle réglementation portant sur les A.S.B.L soit envisagée. C'est en date du 29 janvier 1999, par décret n°195, qu'ont été garanti non seulement les A.S.B.L mais aussi les Établissements d'utilité publique.

Après ce décret-loi, une nouvelle réglementation fut votée par l' Assemblée Constituante et Législative-Parlement de Transition, ACL-PT en sigle, et promulguée par le Chef de l'Etat. Il s'agit de la loi n°004/2001 du 20 juillet 2001 portant dispositions générales applicables aux Associations sans but lucratif et Établissements d'utilité publique, qui a abrogé le décret-loi du 29 janvier 1999 bien qu'elle a reconnu avoir repris intégralement ce décret-loi.

Cette analyse s’assigne alors la mission, d’une part de scruter le statut des ASBL étrangères sous la loi n°004/2001 (I) et d’autre part, de déterminer l’autorité compétente pour accorder l’autorisation d’exercer les activités en Républiques Démocratique du Congo, au regard des quelques changements enregistrés en ce qui concerne les compétences des certaines autorités publiques.

 

II. Du Statut des ASBL étrangères sous la loi no 004/2001

Les ASBL et les Établissements d'utilité Publique sont régis en droit positif congolais par la loi N°004/2001 du 20 juillet 2001. Cette loi a été élaborée sous l'égide du décret-loi Constitutionnel n°003 du 27 mai 1997 [2].  

Pour exercer leurs activités en République Démocratique du Congo, les ASBL se doivent de se conformer à la législation en vigueur. Celles qui n’existent pas encore doivent se constituer conformément aux règles fixées par la loi en respectant toutes ses formalités. Celles qui exercent déjà leurs activités dans des Etats autres que la République Démocratique du Congo sont tenues d’acquérir les autorisations nécessaires pour le déploiement de leurs activités.

Sous la loi N°004/2001, l’Association sans but lucratif étrangère est toute organisation qui ne se livre pas à des opérations industrielles ou commerciales, si ce n’est à titre accessoire, et qui ne cherche pas à procurer à ses membres un gain matériel. Elle doit alors être apolitique.

Selon qu’elle est à caractère économique, culturel, éducatif ou social, l’association étrangère requiert, conformément à l’article 31 de la loi susvisée, au préalable, l’avis et l’enregistrement auprès du Ministère ayant dans ses attributions le secteur d’activités visé.

En cas d’avis favorable, la demande d’autorisation est adressée au Ministre de la Justice.

Et pour être recevable, cette demande devra se conformer aux dispositions de l’article 4 de la loi sous examen. Les frais y relatifs sont prévus à l’article 57 et doivent être payés par les impétrants.

L’article 4 détermine, en effet, les éléments constitutifs pour introduire une requête en obtention de la personnalité juridique auprès du Ministère de la Justice. Cette requête devra être signée par les membres effectifs chargés de l’administration ou de la direction de l’association, est adressée, en double exemplaire, contre récépissé, au Ministre de la Justice sous-couvert du Ministre ayant dans ses attributions le secteur d’activités visé. Elle doit être accompagnée :

⦁ d’une liste indiquant les noms, les post-noms, les prénoms, le domicile ou la résidence de tous les membres effectifs de l’association. Cette liste est signée par tous les membres effectifs qui seront chargés de l’administration ou de la direction de l’association ;

⦁ d’une déclaration signée par la majorité des membres effectifs indiquant les noms, professions et domicile ou résidences de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de l’administration ou de la direction de l’association ;

⦁ des statuts de l’association notariés et dûment signés par tous les membres effectifs chargés de l’administration ou de la direction de l’association ;

⦁ des certificats de bonne conduite, vie et mœurs de tous les membres effectifs chargés de l’administration ou de la direction de l’association ;

⦁ d’une déclaration relative aux ressources prévues par l’association en vue de réaliser l’objectif qu’elle s’assigne. Cette déclaration doit être renouvelée à la fin ou au début de chaque semestre, sous peine d’application de l’article 19 (dissolution).

En sus des formalités ci-haut mentionnées, l’article 35 dispose que : «[…] l’organisation étrangère doit:

⦁ avoir une représentation en République Démocratique du Congo ;

⦁ conclure un accord-cadre avec le Ministère ayant le plan dans ses attributions ;

⦁ produire une attestation de bonne conduite, vie et mœurs pour le personnel expatrié dûment légalisée par l’Ambassade ou le Consulat de la République Démocratique du Congo dans le pays où se trouve le siège ;

⦁ utiliser la main d’œuvre locale à concurrence de 60% au minimum.

Il y a lieu de noter que ces formalités prévues à l’article 37,  doivent se faire en même temps que celle relative à l’obtention de l’autorisation d’exercer, mais doivent se terminer avant cette dernière.

L’obtention de l’aval de l’autorité administrative locale autrement dit l’acte de reconnaissance de l’autorité politico-administrative locale Actuellement  découle d’aucun texte légal.. Elle procède du Décret-loi n° 195 du 29 janvier 1999 en son article 37, abrogé par la loi n° 004/2001 du 20 juillet 2001 sous examen.

L’objectif poursuivi à travers ces formalités est celui de permettre à l’ASBL de droit étranger de jouir des attributs de la capacité juridique que lui reconnaît la loi du pays où elle a son siège social. Toutefois, elle ne peut avoir plus de droits que les associations sans but lucratif de droit congolais.

 

III. Autorité compétente pour autoriser une ASBL étrangère à exercer ses activités en République Démocratique du Congo

Aux termes de l'article 30 de cette loi: "Aucune association étrangère ne peut exercer ses activités en RDC sans une autorisation du Président de la République  donnée par décret sur proposition du Ministre de la Justice."

Ceci revient à dire qu’après l’accomplissement des formalités ci-haut décrites, le dossier régulièrement constitué sera transmis par le Ministre de la Justice au Président de la République pour que ce dernier accorde l’autorisation.

L’on peut alors s’interroger au sujet de l’autorité compétente pour accorder cette autorisation dès lors que la loi 004/2001 fait allusion à un décret du Président de la République qui, à l’époque avait pour mode d’expression juridique en matière administrative le décret et était détenteur du pouvoir réglementaire général et cela, au regard de la Constitution du 18 février 2006 qui a attribué le pouvoir réglementaire général au Premier Ministre et selon la même Constitution, le Président agit désormais par voie d’Ordonnance.

Il faut, avant d’aborder le fond, souligner que le pouvoir réglementaire général est cette compétence reconnue à une autorités administrative de prendre des mesures  caractérisées par leur portée générale, impersonnelle et abstraite [3]. Ce pouvoir  réglementaire intervient soit dans le sillage de la loi pour l’exécuter ou l’appliquer ou encore dans le domaine autre que celui de la loi, la doctrine parle alors du règlement autonome (article 128 de la Constitution).  La détention de cette compétente varie d’un pays à un autre et d’une époque à une autre.

Sous la Constitution du 18 février 2006, cette attribution est dévolue au Premier Ministre conformément à l’article 92 de la compétence alors que le Président de la République à une compétence en matière réglementaire limitée par la Constitution.

Les actes individuels sont ceux destinés à produire leurs effets au profit, ou à l’encontre, d’un destinataire déterminé, d’une personne nommément désignée. Ils créent, au profit des particuliers, des droits, ou des facultés ou leur imposent des obligations, soit de donner, soit de faire, soit de ne pas faire, c’est également ces actes qui confèrent un statut dans lequel droits et obligations se trouvent mêlés [4]. 

Alors que les actes particuliers  sont ceux dont le contenu concret vise très précisément une opération déterminée. L’acte particulier s’oppose à l’acte réglementaire par son objet et non par ses sujets : il vise une action donnée ; il s’agit d’une décision concrète qui pourrait  être appelée aussi « décision d’espèce » [5]. 

L’autorisation d’exercer les activités  constitue, en droit administratif, un acte individuel parce qu’il concerne une personne juridique nommément désignée et vient modifier l’ordonnance juridique au profit de cette dernière.  De plus, la matière relève du droit international dont le Président partage l'exercice avec le Gouvernement en vertu de l'article 91 alinéa 3 de la Constitution. 

Sous la Constitution du 18 février 2006, cette autorisation relève de la compétence du Président de la République, c'est donc  une Ordonnance présidentielle, contresignée par le Premier Ministre  sur proposition du Ministre de la Justice après délibération du conseil des Ministres, qui devrait intervenir en lieu et place du décret du Premier Ministre. Ceci d'autant plus que seul le mode d'expression juridique du Président de la République a été modifié par la Constitution du 18 février 2006 et non son pouvoir en matière d’actes individuels ou particuliers. Le contreseing du Premier Ministre trouve son fondement içi de l’article 79 alinéa 4 de la Constitution.

Ce point de vue se justifie car sous le décret-loi Constitutionnel de 1997 le Président de la République agissait en matière administrative par voie de décret (Article 5 du décret-loi Constitutionnel de 1997) alors que sous la Constitution du 18 février 2006, il statue par voie d'ordonnance (Article 79 de la Constitution du 18 février 2006). Il est donc claire que se soit le Président de la République qui autorise l'exercice des activité de ces ASBL étrangères.

Aussi, le changement opéré par le constituant du 18 février concernant les compétences du Président de la République en matière administrative ne porte que sur son pouvoir réglementaire. Ce pouvoir relève désormais du Premier Ministre. Ceci voudrait autrement dire que la compétence d’exécuter les lois et de prendre des règlements autonomes reconnues jadis au Président de la République est attribuée au Premier Ministre.

C’est ce raisonnement qui a été appliqué au sujet de la détermination du Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) car conformément à l’article 87 de la loi  015/2002 portant code du travail : «Un décret du Président de la République, pris sur proposition du Ministre ayant le Travail et la Prévoyance Sociale dans ses attributions, après avis du Conseil National du Travail, fixe les salaires minima interprofessionnels garantis ainsi que les taux des allocations familiales minima, et à défaut de conventions collectives ou dans leur  silence, les salaires minima par catégorie professionnelle. »

Au regard du changement intervenu, la compétence d’exécuter les lois, jadis reconnue au Président de la République, a été transférée au Premier Ministre,  c’est dans ce cadre que le Premier Ministre Bruno TSHIBALA a pris le 22 mai 2018 le décret  N°17/018 fixant Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG).

A notre avis, la compétence du Président de la République en matière d’actes individuels ou particuliers n’a pas été impactée par ce changement opéré par la Constitution du 18 février 2006. Le Président de la République reste alors compétent pour accorder la nationalité congolaise par naturalisation ou par l’effet du mariage conformément aux articles 10 à 20 de la loi n°04/024 du 12 novembre2004 relative à la nationalité congolaise. L’acte accordant la nationalité est au regard du droit public un acte individuel.

Aussi, demeure-t-il compétent en ce qui concerne les actes particuliers. C’est pourquoi en matière d’expropriation d’utilité publique, c’est au Président de la République que l’article 6 de la loi 77-001 du 22 février 1977 sur l’expropriation reconnait, jusqu’à ce jour, la compétence de déclaration d’utilité publique en ce qui concerne l’expropriation. par zone.

Nous estimons donc non-fondé l'argument qui ira dans le sens de soutenir la compétence du Premier Ministre en évoquant qu'il est, sous la Constitution du 18 février 2006, détenteur du pouvoir règlementaire général conformément à l'article 92. 

Cette argumentation serait biaisée car en Droit public on distingue le pouvoir réglementaire général et le pouvoir en matière d'actes individuels et particuliers. Il faudra, pour le tenant de la compétence du Premier Ministre en cette matière, reconnaître que le changement intervenu avec la Constitution du 18 février 2006 ne concerne que le détenteur du pouvoir règlementaire.

Et donc ce changement n'a pas d'impact en ce qui concerne la compétence du Président en matière d'actes individuels et particuliers car la Constitution n'a modifié que la compétence sur les actes réglementaires et non sur les actes individuels. Cette posture adoptée comporte un risque pour la sécurité juridique.

L’Ordonnance d’autorisation est ainsi une véritable décision administrative dont la censure relève du juge administratif conformément à la loi 16/027 du 15 octobre 2016 relative aux juridictions de l’ordre administratif.

 

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Note

[1] D. VAN REYBROUCK, Congo une histoire, DBBA, Amsterdam, 2012, pp.507-552 

[2] J. DJOLI ESEN’EKELI, Droit Constitutionnel : L’Expérience congolaise (RDC), L’Harmattan, Paris, p.164-166

[3] L. YUMA BIABA, Essentiel du droit administratif général, Kinpress, kinshasa,2019, p.89)

[4] J. WALINE, Précis de Droit administratif,22e éd., Dalloz, Paris, 2008, p.388)

[5] F. VUNDUAWE-te-PEMAKO, Traité de Droit Administratif, Larcier, Bruxelles, 2007, p.667

 

Me ESHIMATA NGIMBI Kevin

Avocat à la Cour

Chercheur en Droit Public

Apprenant en IIIe Cycle en Droit Public à l’UNIKIN

 

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