Sommaire

  1. Introduction
  2. Le Plan Dermine
  3. Du domaine public au domaine privé
  4. De la commission mixte paritaire
  5. Des mesures à prendre en cas d’exception non adimpleti contractus

 

Avant-propos

Par sa lettre N/Réf. : LEA/YM/COSERA/00137/09/20 du 20/09/2020, l’Etoile d’Afrique (L.E.A)** avait saisi officiellement Monsieur Patrick DEWAEL,  alors Président de la Chambre des Représentants de Belgique au sujet de la participation de l’Association L’Etoile d’Afrique, L.E.A. et ses partenaires, des délégués des monarques congolais ainsi que de leurs notables aux travaux préparatifs de la Commission Vérité et Réconciliation, « C.V.R. » en sigle.

Cosignataire de cette lettre aux côtés de S.A.I Mwant-a-MWAD Princesse YAV Marilyn de la dynastie des Mwant-a-YHWH de l'Empire Lunda, le Gardien du Trône de l'Empire Lunda Mwant KAKING KAMAY Mathieu MPALANGA, Mr DIAMENA MATUNDU (ADK), l’historien et Chef de travaux MAKAYA Mambongo Kamalandua Jean-Edmond et l’administrateur du Centre Universitaire Nord-Sud Mr MBOA George NGOIE ; nous avions plaidé entre autres que la Commission Spéciale en charge du passé colonial se  penche sur le passé commun de nos pays, à la lumière d’une commission chargée non seulement de (re)chercher et de dire la vérité, toute la vérité, mais aussi de sceller la réconciliation entre nos deux Etats et nos deux peuples.

 

I. INTRODUCTION

Le processus de restitution des objets culturels à la République Démocratique du Congo est arrivé à un point de non-retour. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que toute revendication doit ipso facto répondre à des considérations politiques, diplomatiques, géopolitiques, éthiques mais également cosmogoniques qui influent ostensiblement sur son issue.  

Selon notre entendement, il serait vain, chimérique et illusoire de prétendre (re)chercher, découvrir et dire la vérité entre la Belgique et le Congo ou d’œuvrer pour la réconciliation entre les deux Etats et leurs peuples respectifs sans remplir un préalable dicté par le bon sens et la notion la plus élémentaire de justice historique.

Il s’agit de l’implication des héritières et des héritiers de la quinzaine d’Empires et de Royaumes, de même que des ayants droits ainsi que des ayants cause de quelque 450 entités dites ethniques et de plus d’un millier de communautés dites tribales ; tous bénéficiant d’une remarquable antériorité historique puisque installés depuis des siècles sur le territoire du pays qui répond aujourd’hui au nom de la République Démocratique du Congo.

Par ailleurs, dans le mémorandum adressé au Parlement Fédéral l’année dernière, nous avons souligné qu’au risque d’encourir l’opprobre d’usurpateurs et le reproche d’opportunistes, les uns et les autres, à l’exception notoire des monarques congolais doivent au préalable justifier leurs titres, qualités et légitimité avant de s’immiscer ou d’intervenir dans les matières retenues par la Commission parlementaire belge. Parmi ces agitateurs, certains ont poussé  l’outrecuidance jusqu’à réclamer à la Belgique des compensations, sous forme de dommages et intérêts en espèces sonnantes et trébuchantes.  

C’est une lamentable tentative d’escroquerie financière à l’égard de la mémoire de nos ancêtres et des grandes dynasties qui ont fait rayonner les monarchies régnantes.  

Tel n’est nullement le cas pour celles et ceux qui exercent actuellement le pouvoir dit ‘’coutumier’’ au Congo. S’ils (re)cherchent effectivement la vérité, s’ils veulent la réconciliation, les basses et dégradantes préoccupations purement matérielles sont, par contre, loin de leurs motivations.

Toutefois, avec la crise sanitaire due à la pandémie de covid19 et autres raisons d’ordre politique, les travaux de cette Commission spéciale ont été suspendus depuis cette période jusqu’à nos jours.

 

II. Le Plan Dermine

A. De l’inventaire des pièces

En Juin 2021, Thomas Dermine, Secrétaire d’Etat belge chargé de la politique scientifique a réussi à faire passer un raisonnement fondé sur une logique simple : ‘’ce qui a été acquis par la force et la violence dans des conditions illégitimes, doit en principe être restitué.’’  

En effet, il s’agit là de la question sur la restitution des objets culturels et cultuels, qui constitue l’une des matières devant faire l’objet des discussions entre les délégations congolaise et belge au sein de la Commission Vérité et Réconciliation (C.V.R). La Belgique a opté pour ‘’une approche novatrice, adoptée lors de la dernière réunion du conseil des ministres restreint (Kern).’’  

D’après l’article ‘’un cadre juridique pour la restitution des œuvres coloniales’’  de Colette Braeckman publié sur son blog le 21/06/2021, la proposition du Secrétaire d’Etat Th. Dermine adoptée par le Kern, se résume en ceci qu’« il est apparu que les 85.000 pièces qui se trouvent à Tervuren peuvent être séparées en quatre catégories. Dans la première se trouvent des objets qui ont été acquis et transférés de manière absolument illégitime : 283 d’entre eux, soit 0, 3% du total, sont clairement identifiés comme des butins de guerre, acquis par la violence et 600 objets sont arrivés jusqu’en Belgique de manière illégale. A propos de cette première catégorie d’objets, le principe est clair, ils doivent être restitués. Cependant, une ‘’convention de restitution-dépôt » pourrait être conclue avec la RDC pour les objets dont il a été démontré qu’ils ont été acquis de manière illégitime. ‘’

Pour lui, l’intention est de dépassionner le débat ‘’ les objets arrivés en Belgique à la suite d’actes de dépossession violente doivent être restitués, mais le « timing » de cette restitution peut faire l’objet d’un dialogue, d’un accompagnement scientifique. Il ne faut pas, comme ce fut longtemps le cas, que le débat soit pollué par des considérations portant sur les modalités de transport, de conservation. De tels enjeux opérationnels ne doivent pas occulter ou retarder les positions de principe. ‘’  

Et le 6 juillet, le Gouvernement belge présente sa Feuille de route pour restituer à la RDC des milliers d’objets culturels acquis abusivement, précisément pendant les périodes des violences de l’EIC sous Léopold II. Pour notre part, la délimitation spatio-temporel et les conditions d’exercice de l’action en restitution sont trop restrictives dans le cadre de la Feuille de route Dermine.

Une telle proposition, n’est pas du tout nouvelle, du fait de sa cristallisation durant l’administration coloniale, en 1936, année marquant la création du Musée de la vie indigène, puis au lendemain de notre indépendance en 1960 et sans oublier en 1973, sous le règne du Général Mobutu à la création de l’association des musées nationaux du Zaïre.  

Trois ans après, c’est-à-dire en 1976, la Belgique procéda à la restitution  d’un premier objet au Congo, et ce dépit des arguments paternalistes, condescendants et discriminatoires des responsables de Tervuren selon lesquels la République du Zaïre ne disposait pas d’infrastructures adéquates pour accueillir ce genre d’œuvres.  

 

B. Le piège de la Convention de restitution-dépôt

Thomas Dermine tel un Donald Trump, géniteur des Accords d’Abraham dans le processus de paix israélo-palestinien, a de bonne foi  estimé qu’il était temps de proposer à l’attention du Gouvernement congolais un ‘’Big Deal,’’ pouvant jeter les bases d’une résolution définitive des différends entre les deux Parties autour du passé colonial.  Mais dans un processus de restitution qui est éminemment dialogual, consistant à transcender les dialectiques quotidiennes les plus extrêmes pour aller à une réelle connaissance de l’autre dans l’intention de construire un langage commun, que peut-elle bien cacher en elle cette forme de Convention ? Où se situerait le piège entre une Convention de restitution-dépôt et celle de dépôt-restitution ?

A ce sujet, Marie Malaurie, G. Cornu et C. Guelfucci-Thibierge nous précisent que le droit civil retient une diversité des restitutions à l’instar des contrats de dépôt et de prêt à usage, qui ont comme premier dénominateur commun d’être des contrats de restitution; du fait qu’ils obligent le dépositaire et l’emprunteur à restituer en fin de contrat la chose qui leur avait été remise. En d’autres termes, les obligations de restitution en vertu du Code Civil ont un vaste champ d’application qui dépasse le dépôt et le prêt à usage; elles apparaissent dans d’autres contrats et dans des situations extracontractuelles .

Dans la mesure où il existe non seulement des contrats qui obligent à une restitution mais également ceux renfermant des obligations de restitution dont l’origine est non contractuelle, la Convention de restitution-dépôt dans le cas sous examen, aura la latitude de renfermer en elle plusieurs germes de confusion pour la simple raison que l’obligation de restitution sera liée à d’autres obligations, plus complexes. En revanche, cette obligation de restitution ne pourra être simple que dans la seule Convention de dépôt et de prêt à usage, qui, d’après une ‘’tradition aujourd’hui mise en cause, sont des contrats unilatéraux, gratuits et réels et, à beaucoup d’égards, ne sont pas complètement des contrats.’’  

Si la fameuse Convention de restitution-dépôt dans l’entendement du Gouvernement belge est celle en vertu de laquelle, le dépositaire s’oblige envers le déposant à lui restituer (à l’échéance d’une période donnée) des objets culturels préalablement identifiés acquis de manière illégitime, tout en continuant de les garder et les conserver à sa charge. Or, le Code civil appréhende le dépôt comme un contrat ‘’essentiellement gratuit’’ , parce qu’il se forme par le consentement réciproque de la personne qui fait le dépôt et de celle qui le reçoit  ; en ce moment-là, la proposition d’une Convention de restitution-dépôt s’avère être unilatérale et est imposée à la partie la plus faible.  

Donc, nous serons en face d’une Convention greffée (qui n’est pas toujours heureux)  résultant de la juxtaposition d’un contrat à un autre, ou, plus simplement, de la stipulation d’une clause qui en modifie l’économie . C’est pour autant dire que seul un contrat pleinement réel serait le don manuel d’objets puisque la promesse consensuelle de don manuel est dépourvue d’effet (comme l’est la promesse de toute espèce de donation), mais le don manuel n’est pas un contrat de restitution . Doit-on dans ce cas subir ou participer d’égal à égal avec l’autre partie ?

Un autre piège se situe au niveau des obligations de la partie par laquelle le dépôt aura été fait : En effet, d’après l’article 510 du CCLIII ‘’la personne qui a fait le dépôt est tenue de rembourser au dépositaire les dépenses qu’il a  faites pour la conservation de la chose déposée, et de l’indemniser de toutes les pertes que le dépôt peut lui avoir occasionnées.’’  

Dans le cas où le déposant congolais n’aura pas les moyens de payer la créance ayant pris naissance à l’occasion de la garde et la conservation desdits objets, le dépositaire belge pourra-t-il évoquer le droit de rétention ? Etant donné que le droit de rétention suppose la conclusion d’un contrat entre les parties et l’existence d’une certaine créance ; nous pouvons d’ores et déjà nous donner le loisir de conjecturer à l’existence d’un dol savamment orchestré par la partie belge dans le seul but de continuer à tirer profit de la jouissance de ces objets.

C. Des garanties juridiques : De lege ferenda

Nous soulignons que l'ensemble de précautions juridiques à prendre pour ce qui sera de la forme, du type et de l’objet de la Convention à négocier entre les deux parties engagées à ce processus de restitution, sera important pour la RDC, de plaider en faveur du principe de ‘’dépôt nécessaire’’ découlant du fait qu’elle ait été forcée de faire ce dépôt par une nécessité pressante et pour soustraire la chose qui en est l’objet à une ruine imminente  sur son territoire national. Par cette occasion, une Convention de restitution-dépôt telle que proposée ou voulue par la partie belge aura tout son sens et pourra être combinée avec une autre Convention de prêt. Mais pour y arriver, il faut faire sauter le verrou législatif.

 

III. Du domaine public  au domaine privé

Du fait que ces objets soient pour l’instant inaliénables conformément à la loi en vigueur sur le patrimoine culturel, car propriété de l’Etat belge, nous ne pouvons encore rien tenter. Comme ce fut le cas en France pour la restitution de certains objets au Bénin, la gymnastique juridique et/ou légistique à mettre en opération est celle de modifier la loi en les rendant aliénables. D’ailleurs, Felwine Sarr, professeur d’économie, et Bénédicte Savoy, nous rapportent que ‘’toute procédure de restitution requiert la modification du Code du Patrimoine’’. Elle est entreprise sur la base de la demande formelle du pays demandeur, qui pourra être déposée rapidement pour les objets dont l’origine et les conditions d’acquisition sont suffisamment connues pour que l’établissement du dossier d’instruction ne nécessite pas de travaux de recherches .

L’objectif étant d’extirper ces objets du domaine public pour les transposer dans le domaine privé de l’Etat aux fins de faciliter leur restitution. De ce fait, la Convention sur la restitution comme mesure d’application de la nouvelle loi aura pour incidence, le transfert de la propriété juridique à l’Etat congolais et ‘’il pourra intervenir avant la remise elle-même’’…car ‘’le dialogue entre les deux pays est le fil rouge de la démarche puisque le transfert matériel des objets doit s’inscrire dans un cadre diplomatique bilatéral.’’ Avait souligné le Secrétaire d’Etat Dermine.

Or, une Convention assortie des clauses de restitution-dépôt telle que le prône le Gouvernement belge, impliquera comme nous l’avons dit tantôt la rétention desdits objets à des fins de conservation, recherche et valorisation. Encore pour combien de temps ? Est-ce que l’Etat congolais arriverait-il à proposer dans sa Feuille de route une Convention de prêt ?

Dans la même logique, si l’Etat congolais ratifie la Convention de restitution-dépôt, il sera alors obligé à son tour de légiférer sur l’inaliénabilité et insaisissabilité de ses objets culturels comme garantie au prochain round de négociation devant découler d’une part à la Convention-cadre définissant les règles applicables aux prêts des œuvres et d’autre part, à une Convention technique précisant les conditions techniques et scientifiques de ces prêts.  

En ce qui nous concerne, les Conventions particulières de prêts ne pouvant donc pas déroger aux règles de la Convention-cadre et de la Convention technique, cela étant, à travers ce mécanisme, les œuvres prêtées par l’Etat congolais en application ces dernières seront réputées insaisissables sur le territoire belge. Le Royaume de Belgique sur pied de la Convention technique, sera dans l’obligation de prendre des mesures nécessaires au plan national pour garantir cette insaisissabilité et à en informer la partie congolaise.

Par ailleurs, ces Conventions particulières renfermeront par exemple une clause attribuant aux juridictions congolaises une compétence exclusive pour se prononcer sur les différends susceptibles d'intervenir dans leur application ou exécution. Mais là encore une question sujette à négociation risquerait de compliquer le processus, celle de définir la juridiction compétente entre la compétence matérielle ou territoriale de la Cour de Cassation de la RDC et la Cour Permanente d’Arbitrage de la Haye en vertu du  règlement d'arbitrage établi par la CNUDCI (Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International).

Dans les négociations sur l’élaboration de la Convention de prêt, le Gouvernement congolais est en droit de catégoriser les objets en fonction de leurs valeurs hautement symboliques, culturelles, scientifiques et patrimoniales. Aussi chaque prêt doit être consenti pour une durée comprise entre deux et cinq ans, éventuellement renouvelable, à l'exception d'objets particuliers, notamment les œuvres sur papier et textiles qui doivent être prêtées, conformément aux standards internationaux, pour des durées plus courtes. Pendant la durée de validité de l’accord de coopération, renouvelable selon la volonté des Parties, d’autres demandes pourront porter sur une (des) liste(s) d’objets dont l’intérêt et la provenance auront été étudiés dans le cadre des partenariats de recherche prévus par le(s) programme(s) d’action  quinquennal ou décennal.  

A ce stade, l'approbation de la Partie belge sera donnée dans un délai raisonnable et compatible avec le calendrier général des prêts et ne peut être refusée pour des motifs déraisonnables. La liste de ce patrimoine comprendra un nombre d'objets majeurs correspondant aux usages des Empires et Royaumes traditionnels du Congo en vigueur pour les prêts des objets de culte (à l’exemple des têtes décapitées ou autres restes des monarques).

 

IV. De la Commission mixte paritaire

La coordination du processus de restitution aura le mérite d’être pilotée par une Commission mixte  paritaire permanente, créée par la Convention technique. C’est au sein de cette Commission que les listes des œuvres prêtées seront soumises à l'approbation de deux Parties.  D’après les auteurs du Rapport Sarr-Savoy, la ‘’Commission mixte paritaire d’experts désignés par les deux Etats parties, dont la composition et les missions sont fixées par chaque accord de coopération, évalue (ra) les dossiers d’instruction des objets de la liste qui lui sont soumis. Pour formuler son avis, elle apprécie les éléments relatifs à la provenance des objets et, si les conditions de l’acquisition initiale ne peuvent être clairement établies, leur complémentarité avec d’autres objets restitués ou leur intérêt pour le pays ou la communauté d’origine.’’  

Il va s’en dire que, la Commission mixte paritaire pourra vérifier à tout moment que le Musée Royal de l’Afrique Centrale et autres respectent non seulement les normes du droit écrit relatives à la sécurité mais également celles du droit coutumier se rapportant au rituel de conservation des œuvres prêtées. Dans cette perspective de restitution-dépôt, la Partie belge s'engagera à autoriser les représentants dûment habilités par la Commission mixte paritaire à accéder à tous les espaces d'exposition ou de stockage des œuvres, aux locaux techniques et aux installations de sécurité du Musée afin de procéder aux vérifications nécessaires.

Pour Sarr et Savoy, la Commission vérifiera ‘’également l’état des collections nationales après restitution, et est informée le cas échéant des mesures envisagées pour garantir la continuité de la présence de l’art et de l’histoire du pays contractant sur le territoire national. Son examen devrait donc être modulé, selon le degré de connaissance de l’origine de l’objet : Il s’agirait d’une simple vérification des conclusions des travaux de recherches de provenance effectués, lorsque ceux-ci concluront à un vice de consentement lors de l’acquisition des objets, manifeste ou fortement présumé. En revanche, elle donnera un avis d’opportunité sur la restitution au regard de l’intérêt scientifique et cultuel de l’objet pour les collections du pays demandeur lorsque les circonstances d’acquisition de l’objet demandé restent inconnues, malgré les recherches.

L’avis favorable de la commission d’experts permet la sortie de l’objet de la collection du Musée dans laquelle elle était conservée, et sa restitution, sur décision de la personne publique propriétaire, au pays demandeur.’’ 

 

V. Des mesures à prendre en cas d’exception non adimpleti contractus

Partant du principe selon lequel le respect des normes de sécurité et du rituel de conservation des œuvres prêtées, n'est pas assuré dans des conditions satisfaisantes, conformément aux Convention-cadre définissant les règles applicables aux prêts des œuvres et Convention technique précisant les conditions techniques et scientifiques de ces prêts, la Partie congolaise pourra mettre en demeure la Partie belge de prendre les mesures adaptées et raisonnables pour garantir la sécurité des œuvres.

En l'absence de mise en œuvre des mesures susmentionnées et à l’échéance du délai, la Partie congolaise pourrait entre autres :

1. Procéder au rapatriement ou à la mise en sûreté immédiats des œuvres concernées, aux frais de la Partie belge ;  

2. Suspendre sans préavis l'application des toutes les Conventions en tout ou partie ;

3. Résilier sans préavis les accords particuliers le cas échéant.

En outre, la suspension et la résiliation des Conventions susmentionnées et accords particuliers y afférents impliquera le retour immédiat de l'ensemble des œuvres prêtées, aux frais de la Partie belge, ainsi que la suspension ou la résiliation de plein droit de la Convention de restitution-dépôt. Lorsqu'elle considère qu'un risque pèse sur la sécurité des œuvres, la  Partie congolaise peut procéder au rapatriement sans délai de l'ensemble des œuvres prêtées.

Pour ce qui est du principe du transfert de propriété, le Secrétaire d’Etat a souligné ‘’qu’il pourra intervenir avant la remise elle-même’’…car ‘’le dialogue entre les deux pays est le fil rouge de la démarche puisque le transfert matériel des objets doit s’inscrire dans un cadre diplomatique bilatéral.’’  

De tout ce qui précède, il faut considérer que dans le cadre d’un contentieux administratif ou judiciaire, la Partie congolaise aura une garantie solide en poussant les belges de s'engager à permettre le retour sans délai en RDC des œuvres d'art prêtées. Les décisions prises par les autorités administratives et judicaires congolaises ne peuvent donner lieu au versement à la Partie belge d'aucune indemnité.

 

VI. Conclusion

L’approche juridique de la restitution des biens culturels volés ou illicitement exportés souligne les difficultés résultant d’une combinaison de législations nationales envisageant toutes différemment le concept de propriété et la revendication des biens.

Pour Corinne HERSHKOVITCH ‘’la restitution des biens culturels constitue un enjeu juridique et éthique majeur des relations internationales. Ainsi, le colonialisme a, parmi ses multiples conséquences géopolitiques, présidé à de nombreux déplacements d’objets.’’  

En effet, la délimitation du processus de restitution à la seule période Léopoldienne, renvoie à mentionner sans ambages le fait qu’il releva seul le défi apparemment insensé de fonder un Etat moderne à la fin du 19ème siècle, en plein centre d’une Afrique vierge et inexplorée, en fusionnant des terres appartenant à une quinzaine d’Empires et Royaumes, à 450 ethnies et à plus d’un millier de communautés dites tribales vivant sur un territoire aussi vaste que l’Europe ; le tout au vu et ‘’à la barbe’’ d’une quinzaine de délégués de puissances métropolitaines européennes présents à la conférence internationale de Berlin dépêchés notamment par la France, l’Angleterre, l’Allemagne et le Portugal. Il s’agit, assurément et incontestablement, d’un exploit unique dans les annales des fondateurs d’Etats.  

Il est à signaler que les 23 années de son règne sur l’EIC, ont causé d’énormes préjudices tant moraux, matériels qu’immatériels. Cette évaluation du dommage se constate en ceci que certains faits internationalement illicites constituent des graves violations non seulement du droit international conventionnel sur la protection du patrimoine culturel mais également, du droit international coutumier. C’est ainsi que l’intérêt général de l’humanité à la protection et à la sauvegarde du patrimoine culturel et cultuel à une conséquence incidentielle dans le droit international.  

Dans son jugement du 26/02/2001, le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez, le Tribunal International pour l’ex-Yougoslavie note-t-il qu’au-delà du préjudice et de la perte subie par un peuple, affecté dans sa culture et son identité religieuse, ‘’c’est l’humanité dans son ensemble qui est affectée par la destruction d’une culture religieuse spécifique et des objets culturels qui s’y rattachent.’’  

A cet effet, nous fondant sur la Charte culturelle pour l’Afrique de 1976 et celle pour la renaissance culturelle de l’Afrique en 2005, il se dégage d’une part une idée générale centrée sur la préservation de l’héritage culturel et les diversités culturelles, lesquelles constituent un facteur de développement et d’autre part, le principe majeur sur la préservation et la promotion du patrimoine cultuel africain à travers la restitution et la réhabilitation.  

Dans cet élan de vérité, il y a lieu de mentionner que la réconciliation, objectif extraordinairement plus ardu à atteindre, ne pourra être scellée qu’au terme de pourparlers entre d’un côté les représentants des monarques congolais et, de l’autre les héritiers et les descendants des anciens créanciers de Léopold II, notamment les banquiers, les industriels, les armateurs et les fabricants d’armes ; sous le haut patronage de la famille royale et l’égide de l’Etat belge.  

Pour une réconciliation véritable, globale, durable et efficace spécifiquement pour tous préjudices liés à la dégradation de notre patrimoine culturel et cultuel, leur réparation devrait se fonder sur les principes de la restitution et réhabilitation dûment codifiés par les différentes Chartes de l'Union Africaine en la matière, les Conventions de l’UNESCO ainsi que celle de l’UNIDROIT sur les ‘’Biens culturels volés ou illicitement exportés’’ adoptée à Rome le 24 juin 1995, luttant contre le commerce illégal de biens culturels en établissant un corps minimum de règles juridiques communes aux États parties, dans le but de favoriser la préservation et la protection du patrimoine culturel. Bien que n’étant pas encore entré en vigueur, ce texte apporte des réponses adaptées sans toutefois poser d’obligation juridiquement sanctionnée .

Tant que ces différentes parties ne se retrouveront pas, pour la première fois depuis 135 ans, autour d’une même table ou au sein d’une même Commission, toute recherche de vérité et toute prétention à la réconciliation entre Congolais et Belges ne serviront qu’à effleurer l’écume rouge, accumulée sur les plages de l’histoire, laissant dès lors intacte l’immense tragédie congolaise qui se joue dans les profondeurs de l’océan.  

 

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Par  Me MUABILA Glody

Avocat et défenseur du patrimoine culturel et tribal

Membre du Conseil de Sages des Empires et Royaumes d’Afrique (COSERA)

Les vues qui y sont exprimées sont celles de l’auteur, et ne représentent pas celles du COSERA, des signataires du plaidoyer de 2020 encore moins celles des Monarques traditionnels.

 

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