Sommaire

  1. Introduction
  2. Du délai de transmission des observations par le Gouvernement
  3. Du pouvoir de représentation du gouvernement auprès des autres institutions
  4. L'organe habilité à préparer, adopter et transmettre les avis et observations relatifs aux propositions de loi
  5. Implications juridiques des irrégularités ci-haut soulevées

 

I. Introduction

La Constitution congolaise du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour, a  aménagé un régime politique mixte à cheval entre les systèmes présidentiel et parlementaire [1]. 

Cette voie médiane suivie par le constituant du 18 février 2006 sur la nature du régime politique est, tel que le souligne Ambroise KAMUKUNY MUKINAY, le fruit d’un compromis [2]. Cette option s’est inscrite dans une démarche tendant à assurer l’équilibre en présence dans ce que Jean Louis ESAMBO appelle une sorte de « mathématisation constitutionnelle » des exigences politiques des uns et des autres [3]. 

Caractérisée par la collaboration entre les pouvoirs législatif et exécutif. En matière législative, ce régime de collaboration justifie ainsi l'intervention de l'exécutif dans le processus d'élaboration de la loi cela s'illustre par le fait qu'il peut: 

  • inscrire, en priorité, l'analyse d'un projet de loi à l'ordre du jour dans l'une des chambres (article 117 de la C),
  • solliciter l'examen en urgence d'un projet ou d'une proposition de loi (article 125 de la C) ,
  • initier un projet de loi (article 130 de la C),
  • prendre part aux travaux parlementaires (article 131 de la C),
  • émettre des observations au sujet d'une proposition de loi en examen (article 131 de la C)
  • intervenir dans la phase d'examen de la loi en apportant des amendements (article 133 de la C),
  • enfin bénéficier de la délégation législative (Article 129 de la C).

Les députés nationaux Aubin MINAKU NDJALANDJOKO et Garry SAKATA MOKE TAWAB ont initié trois propositions de lois modifiant respectivement la loi organique n°11/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, la loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats et enfin la loi organique n°08/013 du 05 août 2008 relative au Conseil Supérieur de la Magistrature.

L’examen de ces trois propositions par l’Assemblée nationale a suscité des tensions au sein de l’opinion et même dans la classe politique. C’est ce qui justifie d’ailleurs l’intérêt de cette analyse qui ne va pas aborder le contenu de ces trois propositions mais plutôt les controverses concernant les observations transmises par le Vice Premier Ministre en charge de la Justice au sujet de ces propositions. 

II. Du délai de transmission des observations par le Gouvernement 

Selon l’article 130 alinéa 3 de la Constitution : « Les propositions de lois sont, avant délibération et adoption, notifiées pour information au Gouvernement qui adresse, dans les quinze jours suivant leur transmission, ses observations éventuelles au Bureau de l’une ou l’autre Chambre. Passé ce délai, ces propositions de loi sont mises en délibération. »

Cela implique qu’après transmission de ces trois propositions de lois relatives à la réforme judiciaire par le Bureau de l'Assemblée nationale, le Gouvernement n’avait, suivant les termes de l’article 130 de la Constitution, que 15 jours pour émettre ses observations, passé ce délai, il y aurait eu forclusion. 

En réalité, le Parlement, en tant que titulaire, par nature, du pouvoir législatif, a seulement l’obligation de solliciter les observations du Gouvernement et non celle de les prendre en compte intégralement. Techniquement, il s’agit d’un avis obligatoire. 

 

III. Du pouvoir de représentation du gouvernement auprès des autres institutions

L'interlocuteur légal de l'Assemblée nationale dans le cadre de cette procédure est le Premier Ministre et non le Vice Premier Ministre en charge de la justice. Cette affirmation trouve son fondement à l'article 10 de l'ordonnance n°20/016 du 27 mars 2020 portant organisation et fonctionnement du Gouvernement et modalités pratiques de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement ainsi qu'entre les Membres du Gouvernement, qui dispose que: " Le premier ministre exerce la fonction générale de représentation du gouvernement auprès des autres institutions de la République". Le fait d'avoir agi en lieu et place du Premier Ministre, sans avoir sa délégation de pouvoir entraine dans le chef dudit Ministre la faute administrative tirée de l'empiétement des fonctions,

Selon F. VUNDUAWE-te-PEMAKO, l’empiétement des fonctions est la situation dans laquelle une autorité administrative agit dans un domaine relevant d’une autre autorité administrative [5]. 

Cela d’autant plus que l’on relève au point V.I du compte-rendu de la 37e réunion du conseil des ministres du vendredi 26 juin 2020 que le Premier Ministre n’était pas au courant des observations transmises par le Vice Premier Ministre en charge de la Justice par sa lettre référencée N/Réf1068/Secab/D/CAB/VPM/MIN/J&GS/2020

 

IV. L’ organe habilite à préparer, adopter et transmettre les avis et observations relatifs aux propositions de lois

C'est à la commission interministérielle permanente des lois et textes réglementaires que revienne la charge d'analyser, de proposer et de transmettre les avis et considérations au Premier Ministre qui par la suite doit les soumettre au Conseil des Ministres pour leur adoption. Cette commission est présidée par le Vice Premier Ministre ayant la justice dans ses attributions (article 52 de l'ordonnance sus-évoquée).

Seul le Premier Ministre (ou son délégué) est compétent pour déposer ou introduire à l’Assemblée nationale ou au Sénat les observations du Gouvernement conformément à l’article 32 de l’ordonnance n°20/016 du 27 mars 2020.

Le Ministre compétent et le Ministre ayant dans ses attributions les relations avec le Parlement en assurent le suivi.

En affirmant que les observations par lui transmises constituaient  l'œuvre du Gouvernement, le Vice Premier Ministre en charge de la Justice est passible des poursuites pour l'infraction de faux commis en écriture (articles 124-125 du décret du 30 janvier 1940 tel que modifié à ce jour portant code pénal),

V. Implications juridiques des irrégularités ci-haut soulevées 

Il découle des développements qui précèdent les implications suivantes. Du point de vue :

1. Administratif, le Vice Premier Ministre est passible d'une procédure disciplinaire pour empiétement des fonctions car dans la gestion de la chose publique les compétences sont d’attribution. Il peut donc se voir infliger les sanctions : d’avertissement,  de mise en garde écrit, de suspension ne dépassant pas une durée de 30 jours avec privation d’émoluments et  de révocation conformément à l'article 37 de l'ordonnance n°20/016 du 27 mars 2020. (Ce qui irréalisable au regard du contexte politique).

C’est au Premier Ministre que revient le pouvoir de déclencher la procédure disciplinaire à charge des autres membres du Gouvernement et, c’est à lui également que l’ordonnance n°20/016 du 27 mars 2020 reconnait la compétence pour les sanctions autres que la révocation. Alors que cette dernière relève de la compétence du Président de la République sur proposition du Premier Ministre. 

2. Pénal, il peut être poursuivi pour Faux en écriture infraction prévue et punie aux articles 124-125 du décret du 30 janvier 1940 tel que modifié à ce jour portant code pénal. Selon l’article 124 du Code Pénal : « Le faux commis en écriture avec une intention frauduleuse ou à dessein de nuire sera puni d’une servitude pénale de six mois à cinq ans et d’une amende de vingt-cinq à deux mille zaïres, ou d’une de ces peines seulement. » 

Il a été jugé que « le faux en écriture est constitué par l’altération de la vérité dans un écrit de nature à porter préjudice et accompli avec l’intention frauduleuse et à dessein de nuire (Arrêt de la C.A du 11 Août 1914, Jurisprudence coloniale, 1925, page 145). Les éléments constitutifs du faux en écriture comprennent les éléments matériels et l’élément moral [6] .

Du point de vue matériel, le faux en écriture est constitué par l’altération de la vérité qui consiste en une altération matérielle de l’écrit. Il s’agit ici du faux matériel. La modification de l’écrit peut résulter d’un grattage, d’une surcharge, de la suppression d’une partie du texte, de l’insertion après coup d’une fausse clause, de la fabrication intégrale d’un écrit, de l’apposition d’une fausse signature voire de l’insertion après coup d’une fausse clause.

Le faux peut être intellectuel et consister en une altération des énonciations de l’écrit sans que la matérialité de celui- ci soit falsifiée. Le faux intellectuel résulte de l’inscription dans l’acte d’une mention contraire à la vérité ou de la non-insertion d’une mention nécessaire pour l’acte reflète la vérité. C’est le cas d’une fausse déclaration de décès ou de non enregistrement d’une opération comptable. L’acte commis par le Vice Premier en charge est un faux intellectuel.

L’élément moral du faux en écriture consiste dans l’intention frauduleuse ou dans le dessein de nuire[7].

  • Le Vice Premier Ministre en charge de la justice est justiciable auprès de la Cour de Cassation (article 153 de la Constitution) et tenant compte du moment de la commission des faits, l’on peut affirmer qu’il y a eu flagrance. De ce fait, l’article 80 de la loi 13/010 du 19 février 2013 relative à la procédure devant la cour de cassation, est applicable.

Nous regrettons toute fois que la loi 13/010 ait consacré la procédure de flagrance pendant que le constituant du 18 février 2006 ne l’a pas prévu à l’article 166 alinéa 2 de la Constitution  qui dispose que : « La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation des membres du gouvernement sont votées à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale suivant la procédure prévue par le règlement intérieur».

Pendant que concernant les Députés et Sénateurs le constituant a clairement organisé la procédure de flagrance en son article 107 alinéa 2 de la Constitution qui dispose que : « Aucun parlementaire ne peut, en cours de sessions, être poursuivi ou arrêté, sauf en cas de flagrant délit, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale ou du Sénat selon le cas»

Par ailleurs, nous estimons que le Procureur Général près la Cour de Cassation est en droit d’évoquer la loi 13/010 pour déclencher les poursuites en procédure de flagrance et cela aussi longtemps que celle-ci l’organisera. Il revient aux parties (Membre du Gouvernement) impliquée dans un procès, en procédure de flagrance, de soulever l’exception d’inconstitutionnalité de cette loi (article 162 de la Constitution) ou encore aux organes habilités de solliciter l’interprétation de l’article 166 alinéa 2 de la Constitution auprès de la Cour Constitutionnelle (article 161 de la Constitution), soit encore l’interprétation de l’article 80 de la loi 13/010 auprès du Conseil d’Etat (article 82 de la loi 16/027 du 15 octobre 2016 relative aux juridictions de l’ordre administratifs). 

 

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Note

[1] J J. DJOLI ESENG’EKELI, Droit constitutionnel : l’expérience congolaise (RDC), L’Harmattan, 2013, Paris, p. 201.

[2] A KAMUKUNY MUKINAY, Droit constitutionnel congolais, E.U.A, 2011, Kinshasa, p.107

[3] J.-L. ESAMBO KANGASHE, La Constitution du 18 février 2006 à l’épreuve du constitutionalisme : contraintes pratiques et perspectives, Louvain-La-Neuve, Académia-Bruyant, Belgique, pp.39-99)

[4] L. YUMA BIABA, Essentiel du Droit Administratif Général, Kinpress, Kinshasa, 2019, p. 100-101

[5] F. VUNDUAWE-te-PEMAKO, Traité de droit administratif, Larcier, Bruxelles, 2007, pp.678-679)

[6] Mineur, G, Commentaire du code pénal congolais, 2 e éd., Larcier, Bruxelles, 1958, p. 285

[7] P. Akele Adau, A. Sita-Akele Muila, T. Ngoy Ilunga wa Ns, Droit Pénal Spécial, 3é Graduat Droit, UPC,2003-2004, Inédit, pp. 322-323).

 

Me ESHIMATA NGIMBI Kevin

Avocat, Consultant QSHE

Chercheur et Apprenant en IIIe Cycle en Droit Public Interne à l’Université de Kinshasa

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